Contre les classes même scolaires !
Cette année je suis rentré en classe prépa’, «Hypokhâgne» qu’ils disent, ça fait plus pompeux. Mon premier cours de philosophie s’intitulait «Qu’est-ce que la classe prépa’ ?».Je m’attendais au pire et surtout à un énième discours bienveillant insistant sur le fait que nous méritions notre place dans cette classe et que nous étions tous des élèves brillants. Rien de tout cela ne fût dit, à part peut-être avec une ironie cinglante et jouissive quand vous savez que vous vous trouvez dans une classe essentiellement composée de fils de profs et de cadres (49% des élèves en 2015¹), où les boursiers et les enfants d’ouvriers se comptent sur les doigts de la main. Le cours portait en fait sur les motivations historiques et politiques de la création des CPGE (Classes Préparatoires aux Grandes Écoles) : former les futures élites de la Nation. Mais la formation de l’individu et l’attribution de sa fonction sociale ne commence pas en classe prépa’. Réflexion sur le lycée et l’éducation en général.
Le lycée se présente avant tout comme une institution inaltérable et immuable. Sorte de microcosme a priori destiné à instruire la jeunesse, il demeure avant tout un outil du pouvoir dont il convient d’analyser la dimension politique. Conforme à la superstructure capitaliste, il reprend la même logique d’aliénation physique et mentale essentielle au maintien de l’ordre bourgeois, à la production des capitaux. Institué par l’Etat (autoritaire), le lycée n’est qu’une des nombreuses facettes de son entreprise de déshumanisation, au même titre que les prisons, les casernes, les asiles, … Peu importe les gouvernements et les régimes politiques, tous y voient le moule parfait, producteur de générations de citoyens dociles, l’usine à chiens de garde. Son enfance à peine terminée, l’individu se retrouve ainsi plongé dans l’aliénation généralisée et mortifère de cette micro-société. L’entrée au lycée marque alors le début d’un dressage en règle qui se traduit par un laminage et un étouffement intellectuel continus.
Appareil répressif par excellence, la violence symbolique du lycée réside dans le pullulement administratif sur lequel il repose et auquel l’individu doit une obéissance totale. Dans son apprentissage de la soumission, l’élève partage son aliénation entre la parole totalitaire des profs et la répression de kapos répondant au doux nom de « surveillants ». Le lycée est un microcosme jusque dans sa juridiction avec ses lois (les règlements), ses flics (les surveillants), son tribunal (le conseil de discipline). Le lycéen comprend rapidement que sa « réussite scolaire » dépendra avant tout de son adaptation à cet appareil répressif normatif. Par corrélation, sa « réussite sociale » dépendra elle de cette adaptation. La réussite et la durée de la scolarité de l’élève sont proportionnelles au taux d’asservissement. A court terme, il propulse hors de ses murs les jeunes en « échec » vers les emplois de manœuvres, d’ouvriers, d’exécutants afin qu’ils découvrent immédiatement la servitude et l’aliénation du travail et du salariat. Les éléments les plus serviles sont eux conservés afin de produire la technocratie de relève. Ils termineront leur formation de futurs élites dans des conditions quasi paramilitaires en classes prépas et dans les grandes écoles. Le conditionnement de l’individu par le milieu scolaire constitue pour le pouvoir bourgeois une garantie de l’acception de sa future fonction sociale.
Chaque jour, l’élève doit se rendre en cours comme l’ouvrier doit pointer à l’usine. Le temps de présence est rendu obligatoire par le système scolaire autoritaire, et tout manquement au poste de l’élève est sanctionné. Bien souvent les punitions consistent en un allongement du temps de présence obligatoire, les « colles ». Ce système punitif basé sur la retenue de l’élève dans un espace clos (le lycée) pour une durée supérieure à celle normalement exigée (donc sur le temps libre du lycéen) est révélateur de l’esclavage physique que représente le temps de présence et souligne l’aliénation physique inhérente au lycée.
Au lycée s’opère la rupture définitive de l’adolescent avec son enfance. Il va désormais devoir apprendre à (sur)vivre dans la société. Cette survie passe avant tout par le refoulement de l’imagination, de la création, de la spontanéité. C’est la diffusion de la culture, matrice idéologique de la bourgeoisie, qui va s’opérer. En véhiculant l’idée que nous naissons pour servir à quelque chose, à quelqu’un, le lycée pousse à renoncer à la vie. L’individu ne doit plus agir mais subir. Il renie l’extériorisation au profit de l’intériorisation. L’enfant ne crée plus mais apprend à copier, incapable désormais d’effectuer le mouvement qui tend à objectiver sa subjectivité, sa création. Par la culture, objet de consommation le mieux partagé du monde, il entre dans l’immense simulacre créé par le système spectaculaire marchand. Au nom de cette culture, l’enfant renonce à ses possibilités expressives. Objet mort, la culture constitue la principale défense du pouvoir de classe de la bourgeoisie. Elle comprime, assujettit et limite la pratique humaine. En transformant l’être par l’amputation de sa créativité au profit de sa spécialisation productive, la culture induit l’individu à l’acceptation du travail, de la production économique attribuée. Le lycée, à travers lequel la culture est inculquée, prépare ainsi l’individu à l’acceptation inconditionnelle de son rôle social défini.
« L’école obligatoire est l’une des principales structures de la diffusion de l’idéologie dominante. »
Avant les flics et l’armée, les profs sont les premiers défenseurs de la République bourgeoise. Se rêvant en Jean Zay ou en Jules Ferry, ils se sentent investis de la « mission civilisatrice » si chère à ce dernier. Ces producteurs de bons citoyens constituent de par leur fonction la première digue contre-révolutionnaire. Les plus ridicules d’entre eux croient à l’émancipation de l’individu par l’éducation et la transmission de la culture. Les plus dangereux sont ceux qui prétendent libérer l’individu par l’enseignement vertueux et bien dirigé (comme si l’on pouvait « bien » diriger). Il ne peut exister de professeurs révolutionnaires : de par leur fonction, ils portent une lourde responsabilité dans l’établissement et la perpétration de l’hégémonie culturelle bourgeoise. L’école obligatoire est l’une des principales structures de la diffusion de l’idéologie dominante. Ses hussards noirs ne sont que les porteurs de l’autorité morale et intellectuelle à la base des systèmes de domination. Même si certains universitaires qui se complaisent dans la contestation contemplative le prétendent, un changement radical de l’éducation est impossible. Elle paralyse l’intelligence et rend le sujet impuissant, se faisant ainsi la garante du système en place. L’éducation, c’est l’ingurgitation rationalisée (c’est-à-dire contrôlée et réfléchie) de connaissances, de pratiques normatives et de croyances collectives. Par son caractère rationalisé, elle s’oppose à toute possibilité d’imagination, de raisonnement, de prise de conscience. Il n’est d’ailleurs pas étonnant de voir cette élite intellectuelle grassement nourrie par l’Etat suivre les modes idéologiques du moment, par jeu de postures et d’impostures, les postmodernes d’aujourd’hui ne sont finalement que les sartriens d’hier. L’avant-garde intellectuelle, méprisante, paternaliste et élitiste s’intègre parfaitement dans l’hégémonie culturelle de la classe dominante.
Mort aux professionnels de la révolution, mort aux profs, mort à l’éducation bourgeoise et aliénante. Brûlons les écoles, prisons de la jeunesse. Ne nous laissons pas associer à notre propre exploitation, détruisons-la ! Contre le réformisme superficiel qui nous offre les miettes du pouvoir et ne change que le visage des institutions ! Pour le libre choix de ce que l’on apprend ! Pour l’autogestion des lieux d’étude ! Pour l’échange réciproque et l’égalité de l’accès au savoir ! Pour la fin des classes, scolaires comme sociales.
Que crève le vieux monde !
Léon