J’invite tous ceux qui pensent qu’il peut exister un nationalisme moderne, tolérant, supportable, de « gauche » à aller vivre un peu en Catalogne… Après trois mois vécus ici, j’en reviens vacciné de toute idée de cette nature.
Contrairement aux Basques ou aux Corses, les nationalistes catalans ont choisi une voie apparemment plus pacifique pour réaliser leurs vœux d’indépendance : petit à petit, ils ont grignoté les postes du pouvoir en Catalogne. De plus, ils ont créé leurs propres structures, parallèles et concurrentes de celles de l’État central ; iI y a donc une police catalane (quel progrès !) comme il y a une université catalane.
L’ambiance qui règne dans cette fac (où est formée l’élite catalane appelée à gouverner le futur pays) est caractéristique de la mentalité de ces nationalistes soi-disant de progrès : au départ tu as une impression favorable. La fac est moderne, bien équipée, le campus très agréable, les installations sportives sont dernier cri, la cité U est grand confort, mais un peu cher. (cela est compensé par la présence de nombreux services postes, banques, supermarché, laverie). Les associations étudiantes sont nombreuses et dynamiques ! es gens sont compétents et sympas (à condition que tu parles catalan). Bref, tout est beau, brillant et surtout lisse !
En effet, il n’y a aucune aspérité dans ce tableau idéal. Mais si tu prends un peu de recul, tu te rends compte qu’ils ressemblent à une bande de robots mécaniques. Car il leur manque l’essentiel : la vie !
Tout est déjà planifié pour eux : étudiants aujourd’hui, cadres de la Catalogne demain. Mais pour l’instant, ils veulent être les meilleurs pour plus tard, enfin écraser ces « fainéants d’Espagnols, qui les ont persécutés avec 40 ans de dictature franquiste et qui aujourd’hui encore continuent de vivre à leurs crochets ». Ils fondent l’aristocratie et la famille royale avec la population qui dans une grande majorité a aussi souffert du fascisme de Franco. Ces étudiants nationalistes ont un esprit de compétition à mort et de revanche ancré au plus profond d’eux-mêmes. Et cela fait peur, surtout quand ils évoquent la Grande Catalogne de Perpignan à Valence, comme d’autres parlent d’une grande Serbie… Tu vas me dire qu’il y a ici 50 % d’objecteurs et de nombreux insoumis. Oui, mais à l’armée espagnole ! Car pour certains, ce ne serait pas la même chose s’il s’agissait de l’armée catalane ! De même tu vas me dire qu’ils sont nombreux à se revendiquer de gauche, « pour l’Indépendance et le Socialisme » Oui, mais comme c’est l’indépendance nationale qui compte en premier, ils abandonnent toute lutte sociale (contre les patrons) au profit de la lutte politique (élections). Pour eux, patrons, employés, chômeurs ont un même intérêt : l’autodétermination du pays. Ensuite, la preuve pour eux que leur nationalisme n’est pas du fascisme, c’est qu’ils considèrent comme Catalan toute personne qui vit ici, parle la langue.
Ne nous leurrons pas, il y a de grossiers mensonges : tout d’abord, j’ai beau étudier ici et ne parler que le catalan (je ne parle pas un mot d’espagnol), avec mon accent, mes cheveux blonds et mes yeux bleus, on ne m’a jamais pris pour un catalan (alors, imagine ce que c’est pour une personne originaire d’Afrique ou d’Asie). De même, petit à petit, n’est assimilé « catalan » que celui qui travaille ici. C’est une façon élégante de dire : « dehors les immigrés » (qui peuvent être Espagnols, mais aussi d’autres régions !). Ensuite, de tout temps, ces luttes de libération nationales ont été le prétexte pour la bourgeoisie locale de prendre le pouvoir grâce aux classes plus modestes, et ensuite pour les exploiter à leur propre profit. Ne rêvons pas, ce que veulent les bourgeoisies catalanes, basques, corses, piémontaises, palestiniennes ou noires sud — Africaine, c’est pouvoir faire les profits qui jusque là n’étaient réalisés que par les bourgeois espagnols, français, italiens ou blancs ! Cela n’a rien d’un quelconque altruisme ou d’une défense culturelle ! La seule lutte de libération possible, c’est celle de l’être humain dans sa globalité. Comme me l’ont dit des compagnons de la CNT d’Euskadi (Pays basque) : « Bien sûr qu’en tant qu’anarchosyndicalistes, nous sommes pour l’autodétermination. Et nous voulons la pousser jusqu’à son terme le plus ultime, celle de chaque individu ».
Et pour cela, il ne s’agit pas de créer de nouvelles frontières, avec de nouvelles administrations centrales, polices et armées… bref de nouveaux États. Au contraire, nous devons les détruire et avec eux tous les systèmes d’oppression (Églises notamment), qui ne sont que les instruments de la classe bourgeoise pour imposer sa domination. Si nous voulons créer une société fédérale et autogérée, de liberté et de solidarité, il faut nous en donner les moyens en construisant une organisation révolutionnaire de classe et libertaire, en un mot : anarchosyndicaliste.
HAWK
Paru dans le numéro 3 du journal des JL « Il était une fois la révolution, con ! »