Le 1er mai est une journée fériée depuis 1949, dédiée à la fête du Travail. Cela ne vous aura pas échappé, le 1er mai tombe cette année entre les deux tours d’une élection présidentielle. Alors que l’Internationale socialiste adopte ce jour de revendications dès 1889 (quatre ans après les syndicats américains), JMLP et ses sbires célèbrent Jeanne d’Arc depuis le 1er mai 1988. Reportage à Paris, sous tension.
Le leader nationaliste français est présent (ô surprise !) au deuxième tour des Présidentielles et la journée sociale s’annonce tendue. La Préfecture de Paris mobilise 4000 personnes, dont des hommes postés au haut des immeubles (tireurs d’élite ?), et déploie son matériel : hélicoptères, caméras, véhicules variés (jeep, motos)… pour protéger la foule et éviter les débordements. Et ça marche. On ne déplore qu’une trentaine d’arrestations, intervenues vers minuit, au moment de l’évacuation de la Place de la Nation, lieu de dispersion des manifestations de gauche qui rassemblaient, elles, vraisemblablement plus d’un demi-million de personnes.
Le rassemblement des fachos
Skinheads d’extrême droite, jeunes gens très propres et de bonnes famille, parapluies Lancôme, militaires en costume, familles très chrétiennes et autres freaks de la Dimension Parallèle sont au rendez-vous à 9 h, place du Châtelet, à Paris. Des délégations de la France entière, même de l’Orne et de la Creuse se déplacent pour acclamer un vieillard homophobe et fêter une cinglée, morte avant d’avoir connu l’amour parce qu’elle entendait des voix. Les nombreux présents enfilent allègrement la rue de Rivoli, longent le Louvre (fermé pour l’occasion), se massent place des Pyramides où est statufiée la Sainte Jeanne, dorée à l’or fin, suivent la rue des Pyramides pour attendre religieusement leur charismatique chef qui doit discourir vers midi devant l’Opéra Garnier. La dispersion des xénophobes est prévue vers 14 h dans les quartiers chics parisiens.
Place des Pyramides vers 10 h, un incident : JMLP vient en personne, et modifie le trajet de la manifestation : il ne remonte pas la rue des Pyramides comme prévu, mais continue dans la rue de Rivoli. Les CRS barrent la route ; les molosses de la division Département Protection Sécurité (DPS) encadrent celui pour qui les chambres à gaz ne sont qu’« un point de détail de l’histoire de la Deuxième Guerre mondiale. » Il y a quelques heurts, mais rien de bien grave. Alors, le chef du FN ne suit pas le cortège de la populace, mais repart en trombe et en voiture, fier de son coup d’éclat.
Quelques portraits
Cortège très viril, haut en bleu, blanc et rouge, où le cheveu se porte court. Un Suisse (immigré !) affirme que « La France jouit d’une grande tradition cryptomarxiste » (sic), que « l’on célèbre Jeanne d’Arc depuis la nuit des temps » (re-sic). Peut-être 100 000 sympathisants scandent « Nous ne sommes pas des enfants d’immigrés », le joli « La France aux Français ». Ils font dans l’humour avec « Le Pen à l’Élysée, Chirac à la Santé », mais le slogan en vogue sera : « Le Pen, la France, Liberté »… Allez comprendre !
Des jeunes arborent un autocollant jaune fluo « l’extrême droite c’est hyper cool » tandis qu’une joie sincère scintille dans les yeux d’une petite vieille en pensant qu’un homme convaincu de coups et blessures en 1998 sur une candidate socialiste, d’apologie de crime de guerre en 1986, d’antisémitisme insidieux la même année et de captation d’héritage en 1994 peut accéder à la plus haute magistrature française… La même se veut rassurante quand elle dit qu’« il n’est pas question de chasser de France les Européens qui y vivent déjà » ; il ne s’agit que d’expulser ceux qui (malgré tout c’est assez vague) ont « une culture orientale et/ou africaine ». Un maîtrisé en histoire médiévale de la Sorbonne donne sa version de la Reconquista espagnole : « Les Arabes savaient qu’ils n’étaient pas chez eux », oubliant au passage que l’irrigation européenne doit beaucoup à ces dangereux philosophes mathématiciens. Cet universitaire « admire beaucoup Ariel Sharon. »
Le discours
Il n’est pas encore midi et tout ce beau monde patiente en musique Place de l’Opéra. Un podium, deux écrans géants, un dirigeable « Le Pen Président », quelques cadres du FN et une chanteuse à la couleur de peau douteuse ne ferment plus l’œil : ils attendent un borgne. Pendant une heure, la chanteuse s’époumone sur bandes enregistrées à reprendre de la soupe radiophonique. À la fin du récital, pas de Marseillaise, mais LE tube, dont voici le refrain, entonné sur un rythme déviant, genre Outre-Mer : « Avec Jean-Marie, je n’ai plus de peine/Avec Jean-Marie, j’oublie mes soucis. » Caution de non-racisme, des gens reprennent en cœur. Et voilà qu’arrive, devant un parterre de journalistes aux ordres, le tant attendu Sauveur des « Sans-Grades. » La foule reste relativement calme : pas d’hystérie ni de ferveur, de l’extase.
Avant de se lancer dans un incompréhensible historique de Jeanne, bourré de références historiques aux tournures alambiquées, il octroie « le prix du reportage stalinien » à LCI. Cette chaîne câblée, d’inspiration gauchiste, s’est connu, aurait diffusé dans la matinée des interviews de personnes âgées dans des rues vides pour stigmatiser le rassemblement xénophobe des « Frontistes ». Une clameur pour accueillir chaque provocation populiste, et les innombrables drapeaux français qui s’agitent. On boit les paroles ignominieuses de l’ancien tortionnaire en Algérie. Il appelle à la Libération de la France, sous-entendu qu’elle est occupée par ceux qui l’islamisent. « Il ne manque pas un mot » selon un type. Le bonheur.
Comme tous les leaders populistes, l’ancien de l’OAS aime parler longtemps ; deux petites heures et on finit sur une Marseillaise tonnante. Confettis bleus, blancs et rouges s’échappent façon Big deal pour la mise en scène. Une ambiance chaleureuse donc, détendue et conviviale, et qui recommence tous les ans ! C’est promis, je n’y retourne jamais.
De notre envoyée spéciale Connie Marble
Paru dans le numéro 26 du journal des JL « Il était une fois la révolution, con ! »