Il y a 100 ans de l’autre côté du Rhin

S’intéresser à l’histoire, pour moi, ne sert pas tant à découvrir la véritable « nature humaine » ou à en tirer des leçons pour aujourd’hui. Je trouve que regarder les événements passés de plus près permet plutôt de mettre en question des généralités et de se mettre à la place d’autres gens avec leurs motivations et idées propres. Et c’est ce que je trouve être une source d’espoir et d’inspiration pour aujourd’hui. Pour me faire mieux comprendre, je vais illustrer mon propos avec l’exemple de la révolution qui eut lieu en Allemagne il y a 100 ans.

La 1re Guerre Mondiale, période de grands conflits internes

Vu de loin, l’ennemi paraît souvent plus uni qu’il n’est vraiment. Ainsi, je me suis intéressé aux protestations qu’a connues l’Allemagne pendant la guerre avec la France : appels à la paix, grèves, mutineries. Alors que les partis politiques (dont celui de gauche de l’époque) et les syndicats avaient cédé à l’appel de l’empereur pour le soutien à la guerre en 1914, la masse des gens apprit vite qu’ils en paieraient les frais. Les grèves spontanées réapparurent dès 1916/17 et si les syndicats chrétiens et sociaux-démocrates étaient strictement contre, les travailleurs s’aperçurent de leur propre pouvoir politique. En avril 1917, il y avait 300.000 personnes dans les rues, puis un million en janvier 1918 pour la « Paix, la Liberté et le Pain » et il y a d’autres exemples après la fin de la guerre. Du côté de l’armée, des marins confrontés aux inégalités des rangs, à des abus de pouvoir et des ordres suicidaires, se rebellèrent dès 1917 contre leurs chefs.

Le(s) modèle(s) des conseils d’ouvriers et de soldats

Dans ce temps mouvementé de fin de guerre, les mutins s’organisèrent comme naturellement sous forme de conseils dont les premières revendications étaient la libération de tous les prisonniers politiques, la liberté de la presse et
d’expression, un traitement respectueux par les supérieurs de la hiérarchie (et la fin de leurs privilèges) ainsi que le refus de faire couler du sang. Tout ça me paraît de bon sens et d’un courage certain si l’on considère la réponse que le gouvernement allait mettre en place et je trouve ça plutôt rassurant. L’organisation des conseils d’ouvriers et de soldats en Allemagne n’a d’ailleurs été que très peu théorisé. Je pense pour ma part qu’il s’agissait de quelque chose d’assez spontané dont l’efficacité dépendait des compétences que chacun y apportait, un mode de fonctionnement sans représentants. Les conseils d’ouvriers de 1918-19 n’ont rien à voir avec la démocratie dite « participative » dans l’économie actuelle, tels que les comités ou « conseils » d’entreprise. Et pour être précis, il y en avait de toutes les couleurs : des conseils majoritairement sociaux-démocrates, communistes, parfois libertaires… Dans ce contexte, l’écrivain anarchiste allemand Erich Mühsam¹ a été un des seuls à réfléchir à un système de conseils dans lequel il voyait l’organisation de la société future. Les conseils décidant des questions pressantes de la vie quotidienne y seraient constitués de délégués élus par les travailleurs de chaque entreprise et à mandat unique, volontaire, impératif et révocable à tout moment, ce qui accroît surtout le sentiment de contrôle et de responsabilité des travailleurs. Il imagine une organisation par branche et par niveau géographique, le rôle du niveau local y est particulièrement important.

Remise des armes aux ouvriers à Munich en 1919. Sur la banderole, on peut lire « La garde rouge de la république des conseils ».

Il n’y a pas de solutions toutes faites

Cela dit, la république libertaire décrite par Mühsam, n’a existé que sept jours. Aucune action pratique n’a réellement pu être réalisée avant le coup d’état communiste, puis l’écrasement par les troupes contre-révolutionnaires envoyées par le gouvernement fédéral… Qu’est-ce qui a manqué ? Qu’aurait-on pu faire face aux dirigeants et tentatives de prise de pouvoir, face aux syndicats réformistes soucieux d’étouffer toute contestation ? L’antimilitarisme et la lutte armée pour préserver la révolution, sont-ils compatibles ? Autant de questions auxquelles je n’ai pas de réponse simple. Cependant, que toute expérience libertaire dans l’histoire, si courte fût-elle, peut donner de l’espoir et stimuler notre réflexion.


1. Erich Mühsam (1878-1933) mériterait sans doute une présentation plus longue. Son activité politique commença très tôt. à 17 ans, il publiait un billet d’humeur qui lui valut l’exclusion de son lycée. Il fut un critique violent du réformisme, du légalisme du parti social-démocrate et du marxisme. Il s’opposa à la 1re Guerre Mondiale et fut co-organisateur de plusieurs protestations et grèves. En 1918-19, il participa à la révolution en Bavière où il était partisan du système des conseils. Arrêté en avril 1919 et condamné à 15 ans de prison pour haute trahison, il fut amnistié en 1924 et devint porte parole de l’Union Anarchiste allemande En 1934, il fut assassiné par les SS.